De la rencontre à la relation parents – enfants, regard croisé au départ de trois documentaires
L’enfant est un être de relations, de communication avant tout, et c’est dans le nid familial que les liens fondateurs se créent. Est-ce que la naissance de l’enfant signe pour autant la naissance des parents ? Les avis sont partagés. Certaines mères diront que les premiers mouvements du bébé dans leur ventre ont fait naître en elles, le premier émoi maternel. Tandis que d’autres, ont senti l’émotion maternante lors de l’échange du premier « regard ». Pour d’autres encore, un temps après la naissance a été nécessaire pour ressentir les prémisses de cette relation parentale.
Les 3 documentaires belges évoqués dans cet article envisagent un aspect de la relation particulière et complexe qui existe entre le parent et son enfant. D’un instant à l’autre nous emmène au moment où la relation se singularise au premier contact physique juste après la naissance. Avec Naissance, lettre filmée à ma fille, Mona, c’est la question de la transmission filiale et la question des choix qui précédent la naissance d’un enfant que la réalisatrice explore dans un style très personnel. Tandis que le dernier documentaire : Les enfants scrute la relation parentale lorsqu’elle s’éclipse du quotidien de l’enfant à cause d’une souffrance qui entraîne une incapacité à assumer son rôle parental. C’est alors un cadre institutionnel et des éducatrices qui prennent le relais le temps nécessaire pour le(s) parent(s) de se reconstruire.
Dans un cadre d’apprentissage, le premier documentaire pourrait apporter une réflexion au personnel médical en puériculture (infirmières, sages-femmes, kinésithérapeutes, etc.), le deuxième s’attache à rendre compte des histoires familiales qui devancent tout être humain. En tant que témoignage sur l’histoire d’une grossesse d’un second enfant, il devrait intéresser des psychologues et des éducatrices. Tandis que le 3ème film contribue à montrer le fonctionnement et le quotidien d’une pouponnière à de futures éducateurs(trices) ou assistant(e)s sociaux(les) par exemple.
« De l’eau à l’air. De l’étroitesse à l’espace infini. De l’obscurité à la lumière. De la chaleur au froid. A la rencontre… »Une rencontre, la première, c’est bien d’elle dont il s’agit dans les 7 accouchements « D’un instant à l’autre ». Sept rencontres, de 5 minutes tout au plus à chaque fois, dévoilent subtilement ce moment éminemment intime qui nous ancre dans notre humanité au plus profond de nous-mêmes. Une dimension avant/après se joue. Avec la naissance du bébé naissent de nouveaux parents. Car même si des sœurs ou frères ont déjà dessiné les contours de la famille, ce tout premier moment avec cet enfant–là est unique et universel à la fois. Le procédé cinématographique est reproduit à l’identique : une alternance entre l’écran noir (pour les cris et la dernière poussée avant l’expulsion) et la lumière sans artifice pour chaque naissance qu’elle soit unique ou gémellaire. Les positions et les lieux sont pratiquement semblables, un lit de travail, une baignoire éventuellement, ainsi que des angles de vue rapprochés, respectueux et délicats centrés sur la mère, le père et l’enfant. Pas de scénario, l’ambiance est sereine et le texte à l’improvisation. Justesse de ton, ce qui doit se dire, est dit, sans réfléchir…Joie, embrassades, larmes et émotions bien souvent. L’inquiétude pointe cependant parfois. Pourquoi ne pleure-t-il pas ? Tout va bien ? Oui. Le ton est rassurant. Un très beau leitmotiv au final, tout en douceur sans qu’il soit ressenti comme redondant. Non, décidément chaque naissance ne ressemble à aucune autre !
Peut-on vraiment choisir la manière dont on souhaite accoucher ? Sandrine Dryvers, la réalisatrice de Naissance, lettre filmée à ma fille, Mona voulait tellement bien préparer ce premier moment avec son 2ème enfant, avec sa fille, Mona. Ne rien laisser au hasard. Et pourtant c’est lui qui viendra tout bouleverser, changer les plans, mettre de l’imprévu, et ce n’est sans doute qu’un début ! Elle voulait tant vivre cette rencontre chez elle, loin de l’univers médical aseptisé. Le bébé s’annoncera finalement plus tôt, après une alerte cardiaque. Le film devait rendre compte de la naissance à la maison de Mona. Et dans l’agitation, personne n’appuiera sur le bouton du son, les images resteront muettes. Qu’à cela ne tienne, c’est ce qui rendra ce moment unique, la parole de la mère au montage comblera les images silencieuses dont on devine toute l’intensité et qui signent la fin de cette grossesse. Les sentiments qui envahissent une femme enceinte sont complexes et difficilement partageables même (et surtout) pour les membres du personnel médical, a fortiori des médecins. C’est ainsi que la réalisatrice se pose la question de savoir « combien d’enfantements sont-ils mal vécus par les mères alors que médicalement tout va bien ? Les médecins ne parlent pas le même langage, c’est comme si la naissance effaçait l’accouchement. »Ce film nous entraîne aux limites de nos choix. Ici l’impossibilité pour la réalisatrice de vivre naturellement son accouchement à la maison. Mais grâce au médium de la caméra, de l’image, elle peut suivre avec une sage-femme indépendante, un accouchement à la maison, celui de Gaëlle. Une sorte de réparation.C’est également un film sur la transmission filiale. Les cris de l’accouchée ne sont pas seulement les cris d’une femme qui enfante mais les cris de l’humanité, les douleurs anciennes, les peines non dites. Une grossesse, une naissance font ressurgir des pans de l’histoire qui nous précède. Par des images d’archives familiales, la réalisatrice nous montre des liens avec l’histoire de sa propre mère, morte quand elle avait 6 ans.
Ce lien si fort entre l’enfant et son parent peut parfois manquer, pour une période, de courte ou de longue durée. Il faut alors de nouveaux bras pour entourer l’enfant, pour le guider. Comme pour Les enfants de cette pouponnière, un lieu d’existence, de repères quand la relation parentale pose problème. Quand le nid familial protecteur est déficient, des éducatrices veillent, pallient aux manques, donnent des repères pour aider ces enfants à franchir ce cap difficile de leur jeune existence. Sans cesse, il faut (ré)expliquer, donner du sens, encourager, rassurer car leur base vacille. L’influence de Françoise Dolto est manifeste. Non seulement l’enfant ici, est bel et bien une personne, mais il faut nommer les choses, tout ce qui concerne l’enfant, le bon comme le moins bon, surtout le moins bon. Un important travail est effectué sur chaque séparation : pour les enfants qui partent, ceux qui restent, et pour le personnel encadrant.Le passage au « Cerf volant » sera de courte durée pour certains, le temps pour un des parents ou les deux de remettre de l’ordre dans leur vie. Mais pour d’autres enfants, il leur faudra continuer le chemin dans une autre institution parce qu’ils grandissent et que leurs besoins évoluent.
De toute l’importance donc de mettre des mots sur ce qui se passe ou ne se passe plus. Pour mettre du sens sur cette étape de leur vie pour qu’ils intègrent un jour, plus tard, cette séparation et qu’ils parviennent à dépasser la souffrance en faisant preuve de résilience qui est comme le rappelle Boris Cyrulnik : « le contraire du déterminisme fatal. Une première relation peut être un échec, si l’enfant dispose de plusieurs figures d’attachement (grands-parents, instituteurs, institutions), il trouve d’autres tuteurs de développement. Un nouveau rapport au monde émerge alors et s’exprime. »
Christel Depierreux (PointCulture)