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Un roi en exil

Lundi 04 Mars 2013

Complément d’un premier film (Marvin Gaye Transit Ostende) tourné vingt ans plus tôt, Remember Marvin Gaye revient vers la « reine des plages », qui devint, deux années durant, une terre d’accueil salvatrice pour un souverain privé de sa couronne.

 

On pourrait, et ce serait à tort, attribuer un intérêt secondaire à Remember Marvin Gaye, parce qu’il est bâti autour des rushes d’un premier travail unanimement reconnu, mais aussi parce que sa construction sans fil rouge apparent pourrait laisser à penser que cette démarche relève d’une exploitation à bon compte d’un sujet pour le moins couru (les documentaires musicaux ou portraits d’artistes abondent), alors qu’en filigrane de cette évocation multi-facettes de cette voix essentielle de la soul et du R’n’B à l’ancienne, se profile un jolie esquisse impressionniste de cette modeste « Reine des plages » belges, Ostende.

Petit rappel utile. Bien qu’il trône déjà aux côtés d’Al Green et d’Otis Redding au firmament de la soul music – il a gravé un What’s Going On  (1971) sur le perron de l’éternité, Marvin Gaye est à l’orée des années 1980 un homme aux abois. Ce fils de pasteur pentecôtiste dont les feulements se situent en intensité, à mi-chemin de la ferveur religieuse et de l’extase charnelle sort lessivé d’un divorce (avec Anna Gordy, sœur de Berry, célèbre fondateur de la Motown) alors que le fisc américain ne le lâche pas d’une semelle. C’est que si l’homme est avide de gloire et parfaitement conscient d’être taillé pour elle, il ne tarde pas à dévaler sur les pentes obscures du succès et de ses corollaires, drogues et sexe qui le laisseront exsangue et esseulé dans une cité de tous les dangers dans son état de fragilité, Londres. C’est là qu’il est repêché par un homme providentiel, Freddy Cousaert, amateur éclairé de musiques noires et organisateur ponctuel d’évènements aussi bien culturels que sportifs, qui le ramène à Ostende où il devait séjourner quelques semaines et finira par y demeurer près de deux ans. Sa femme, Liliane Debrock y tient un petit hôtel sans artifice qui compte un certain Arno Hintjens parmi son personnel cuisine ! Un séjour prolongé qui « le sauvera de lui-même », selon les propres termes d’un chanteur hors du commun, qui connaîtra, une fois remis en selle, un ultime triomphe mondial en 1982 avec un « Sexual Healing » pour partie enregistré en Belgique, avant de mourir assassiné (par balles) de la main de son père en 1984.

Si cette odyssée d’une improbable reconstruction artistique et humaine au Plat Pays a fait l’objet d’un premier en documentaire réalisé par Richard Olivier en 1982, Remember Marvin Gaye revient à Ostende quelques 20 années après les évènements et mêle à sa déambulation tranquille un florilège d’images laissées de côté à l’époque, et qui sont autant de facettes d’un personnage exceptionnel immergé dans un décor qui pour une fois, est raccord avec ce surréalisme belge auquel il est si commode (et paresseux) de se raccrocher.

On le voit ainsi prendre une bière dans un café du port où des clients qui ignorent tout de lui, entonnent une Marseillaise à la sauce ostendaise, parcourir le quartier des prostituées depuis l’arrière d’un taxi, arpenter sans but les rues, la digue ou encore gagner l’extrémité de la jetée d’une ville humide et venteuse au ciel et à la luminosité si changeants. C’est que partagé entre son vieux port industrieux et son statut (ancien) de « reine des plages », Ostende possède ce charme étrange, indicible et presque suranné qui, de James Ensor aux nombreux résidents anglais qui y habitent en permanence, lui confèrent un statut définitivement à part. Et son influence bienfaisante voire salvatrice, que Richard Olivier a parfaitement su saisir et traduire par la place qu’il donne à la ville flamande dans son film. Car le Marvin Gaye qui pratique le vélo, s’adonne à la boxe ou au basket, entonne un gospel dans une église où il n’y a personne… est un être sur la voie de la guérison (ou de la rédemption) et non un prisonnier en exil sur une terre étrangère et hostile. Un bienfait que cette « star » affable mais peu connu pour sa modestie souligne à plusieurs reprises dans ses déclarations à l’écran, et alors qu’il se remet tout doucement au travail. Peut être les plus beaux moments de ce documentaire ; Marvin répétant seul au piano dans un Casino où il est aussi de façon humoristique également l’unique spectateur ; Mister Gaye à la recherche de l’étincelle magique en compagnie d’un groupe de musiciens dont les tâtonnements seraient pris chez d’autres comme les preuves irréfutables d’un génie en gestation.

Mais si dans l’intervalle de temps séparant les deux films, Ostende est demeurée à peu près la même, le temps s’y est normalement écoulé, emportant dans sa course le « sauveur » Freddy Cousaert, mort dans un accident de roulage en 1998. Et sa veuve Liliane de revenir une dernière fois sur cette amitié peu commune à l’aide de photos aux couleurs doucement passées et d’un bouquet d’anecdotes pas toujours sympathiques, avant de produire une ultime relique rangée au fin fond d’une cave pleine de bric-à-brac : un costume de scène porté par Marvin Gaye peu avant son retour aux U.S.A.

Tout est désormais consommé.

Y.H. - La Médiathèque