L'or bleu
Une critique de la gestion libéralisée de l’eau – thèmes à exploiter et éléments d’analyse de la mise en images
Avec les premières images, l’eau, libre et sauvage, inonde le sol et roule sur les galets. Elle se fait ensuite rare et inaccessible pour une partie de la population et devient rapidement produit de consommation puis marchandise aux mains des multinationales. A partir de l’exemple de la France et du Maroc, ce documentaire engagé, convaincant et bien documenté, critique la gestion de l’eau et notamment sa délégation au secteur privé (ancienne en France).
Au sujet de cette privatisation qui ne dit pas son nom, le réalisateur interroge des responsables politiques, des citoyens et des acteurs, privés et publics, de la gestion de l’eau. Il filme l’espoir et la foi des dirigeants marocains face à la solution du PPP (Partenariat Public Privé), mais aussi les difficultés du quotidien d’une population précaire privée d’eau et encore l’enthousiasme retrouvé de politiques et de gestionnaires ayant opté pour le retour à la régie publique (comme le maire de la ville de Neufchâteau en France à 9’45).
Au Maroc, face à la dureté des conditions de vie d’une population locale confrontée à la sécheresse, le faste des installations touristiques et l’insouciance des propos tenus par les responsables des multinationales mettent en évidence le fossé qui se creuse progressivement entre les différents utilisateurs de l’eau. Par une succession de mises en opposition des images et des situations, le documentaire dénonce les inégalités dans l’accès à la ressource. Dans la région très touristique de Marrakech, les touristes consomment cinq fois plus d’eau que la population locale. Les nappes phréatiques s’épuisent. Les puits se tarissent. Des enfants transportent des bidons d’eau à dos d’âne tandis que des promoteurs immobiliers vantent les mérites du confort de leur résidence qui possède piscine, spa et pelouses verdoyantes (de 1’54 à 4’20). De belles olives rondes égayent l’entrée d’un parc de loisirs qui se paye même le luxe d’une fuite, elles narguent les petites olives fripées d’un paysan survivant tant bien que mal sur une terre desséchée dans l’attente de son quota d’eau mensuel (au mieux) (à 19’50).
En plus de ces illustrations critiques convaincantes, le documentaire nous raconte la petite histoire du vocabulaire de l’accès à l’eau. Le récit commence avec un robinet planté au milieu d’un village qui dispense une eau gratuite. Puis, Ricardo Petrella explique avec talent et passion, que devant les défis posés par demain, la ressource a changé de statut. Aujourd’hui, «… il y a des demandes individuelles qui reflètent des besoins et non une demande collective qui exprime un droit … voilà comment on entre dans le champ de la transaction économique… » (à partir de 26’). L’image d’un homme nageant en pleine mer, comme perdu au milieu de la complexité du système, introduit un intéressant décryptage du fonctionnement d’un PPP (à 12’30). Une histoire qui a commencé au milieu du XIXe siècle en France. On comprend comment les multinationales séduisent les structures publiques en mettant sur la table la mise de départ nécessaire aux investissements. Peu importent la qualité médiocre du service, les conflits d’intérêt ou le prix à payer par les citoyens, comme l’illustrent les témoignages d’habitants de Casablanca à partir de 36’28.
Le groupe d’enfants filmé au début revient à plusieurs reprises au cours du documentaire, comme pour ne pas perdre de vue l’essentiel. Une voix relate le succès économique des multinationales actives dans la gestion de l’eau (à 29’) puis l’hypocrisie du concept de concurrence est dénoncée (à 39’) tandis qu’à l’image, deux petites filles remontent, à la force de leurs bras, l’eau d’un puits de fortune. Le décalage entre le propos et les images soulignent l’intolérable réalité des inégalités sociales et de la rentabilité de la gestion de l’eau dont les profits aujourd’hui servent à investir dans des secteurs très éloignés (rachat des studios Universal à Hollywood, énergie, transport, déchets, etc.).
Le documentaire conclut sur une dernière opposition, celle qui croît entre le développement des entreprises privées et l’assèchement de régions entières qui laisse la population dans la soif et la pauvreté. « Le droit à la vie pour tout le monde implique que nous inventions au 21 e siècle le sujet humanité. Et une humanité qui existe ne peut pas admettre que 2,8 milliards d’individus soient pauvres. » (Ricardo Petrella).
Frédérique Muller (La Médiathèque) (Voir la fiche du film)