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RAS Nucléaire, rien à signaler

Lundi 19 Septembre 2011

A l’aide de nombreux témoignages, l’enquête dénonce l’évolution des conditions de travail dans le secteur du nucléaire, celles-ci étant étroitement liées à la sécurité des centrales. Particulièrement pointé du doigt, le recours à la sous-traitance au sein d’un marché libéralisé de l’énergie. Celui-ci concerne aujourd’hui le ménage dans les bureaux, aussi bien que la direction générale, en passant par les opérations de maintenance les plus délicates.

Pendant des années, ce travail de maintenance, notamment le plus périlleux, le rechargement du réacteur, était effectué par le personnel des centrales. Aujourd’hui, il est sous traité et confié aux « jumpers ». Ils n’ont que 2 minutes au plus pour accomplir leur tâche : pénétrer dans le générateur de vapeur pour fermer les tuyaux qui conduisent au réacteur nucléaire. Au-delà de cette durée, ils s’exposent à un surdosage radioactif. Certains, dans le milieu du nucléaire, douteraient même de leur existence. Pour décrire leur travail, les images parlent d’elles mêmes : un ouvrier s’agenouille, les mains en croix au dessus de la tête, il se prépare à bondir dans l’étroite ouverture qui conduit au réacteur (15e minute).  A ce travail ingrat, s’ajoutent des conditions de vie et un manque de reconnaissance douloureux pour ces ouvriers maintenus dans l’ombre et le silence. Le documentaire nous présente une série de portraits de travailleurs émouvants et pleins d’empathie. On les appelle les nomades du nucléaire. Ils sont seuls, assis à une petite table dans une modeste caravane à la tombée de la nuit, ou posent pour une photo-souvenir entre collègues dans un camping ou un foyer. Ils parcourent jusqu'à 45 000 km par an pour un salaire de 1 200 euros. La précarité de leur emploi les oblige à la discrétion. La sous-traitance, c’est aussi la sous-traitance des risques et le documentaire développe assez longuement un volet particulièrement choquant, celui de la prise en charge des cancers liés à l’exposition aux radiations (à partir de 20’). La recherche de réduction des coûts au niveau du personnel, du matériel et des opérations de maintenance, la délégation du risque au seul travailleur et un management par la peur, génèrent une situation difficilement acceptable (analyse développée à partir de 28’). Le titre « RAS » s’impose comme un constat ironique. Il correspond à une attestation délivrée au terme d’une procédure de vérification pour attester de la sécurité et du bon fonctionnement des installations. Ce documentaire sobre, sérieux mais non dénué d’émotions, développe l’idée qu’il y a au contraire beaucoup à signaler sur les conditions de travail et la sécurité des centrales, avec une intéressante mise perspective dans un contexte de libéralisation globale lourd de conséquences.

D’ordinaire plutôt discrets et silencieux par crainte d’alimenter le discours des contestataires, les travailleurs du nucléaire ont ici la parole. Ces derniers, bienveillants envers les centrales qu’ils ont parfois contribué à bâtir, parlent de leur profond attachement et de leur fascination pour ce monstre à demi dompté qu’est l’atome. Beaucoup conservent en mémoire l’image obsédante de la piscine bleue cobalt. Mais on remarque qu’ils s’expriment au passé. Quelque chose à changé dans le rapport de ces salariés à leur travail : « …Les gens aimaient leur boulot… », « …Je pensais que les clôtures étaient là pour protéger le site… aujourd’hui je m’aperçois que les clôtures sont faites pour ne pas qu’on regarde la misère à l’intérieur…». L’usage du présent est réservé au constat d’un certain nombre d’inquiétudes et de problèmes. Les travailleurs racontent alors leurs craintes pour l’avenir de leur travail, leur santé et la sécurité des centrales.

Le documentaire relate rapidement l’histoire de l’énergie nucléaire, depuis le succès de ses débuts expérimentaux nés d’un pari technologique fondé sur l’engagement de jeunes ingénieurs et le recyclage d’anciens travailleurs de centrales thermiques à charbon dont l’enthousiasme égalait celui des pionniers à la conquête d’un nouveau territoire : « C’était un peu l’ambiance de la ruée vers l’or » (5’40). A l’époque de la construction du parc des installations nucléaires, il s’agissait de distribuer une énergie bon marché à un maximum de foyers. Mais avec la privatisation des services, l’énergie est rapidement devenue une source de profits. Les menaces que font peser les rouages de la libéralisation sur la sécurité des centrales sont au cœur du propos de ce film tourné principalement en France et en Belgique.

Au delà des problèmes de sécurité dans les centrales, le documentaire invite à une réflexion intéressante sur les notions de risque et de normes. On ne parle plus d’un objectif de risque zéro mais de gestion du risque calculé. Un changement sémantique fondamental et révélateur d’un changement de logique. Des accidents, des anomalies, des incidents, qualifiés parfois « d’écarts de conduite », il y en a tous les jours. On joue sur les mots pour jouer avec les chiffres. A partir de la 17e minute, on découvre aussi les limites de la notion de norme. Le seuil d’exposition maximal à la radioactivité à été fixé après l’accident de Tchernobyl à 20 millisieverts par an. Un seuil qui ne garantit pas l’innocuité des conditions de travail mais qui permettrait d’anticiper le nombre de cancers chez les travailleurs (de l’ordre d’environ 5%). La norme correspond donc à un compromis social, qui définit un nombre de morts acceptable (des études plus récentes corrigeraient par ailleurs ce chiffre à 10 ou 12 %). Il existe aujourd’hui 440 réacteurs dans le monde, dont la moitié en Europe. Ces questions de gestion risque, de norme et de fonctionnement du marché de l’énergie se placent donc au centre d’une réflexion globale autour du monde que nous construisons pour aujourd’hui et demain.

Le documentaire termine sur le rêve naïf et étrange, comme déconnecté du temps et du réel. Celui d’un ouvrier autrichien, seul dans une centrale qui n’a jamais été mise en fonction : « Je pense que les travailleurs qui opèrent dans les centrales qui fonctionnement sont heureux ». Le réalisateur n’a pas osé détromper le technicien mais signe ici une touchante et révoltante démonstration du contraire.

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Frédérique Müller