Ceci est mon corps ...
Le combat d’Arnaud en lutte avec son propre corps, devenu une montagne de chair pratiquement immobile, implacable révélateur d’une existence à l’arrêt, bloquée dans une impasse qui se nomme nourriture ! Une reconquête de soi qui transite par une indispensable transformation, tout autant sur le plan physique que symbolique, et le passage d’un corps de souffrance à un corps « projets ».
Spa, fin d’automne/début de l’hiver, deuxième moitié de la décennie 2000. Arnaud, pas loin des 180 kilos pour une taille très moyenne, achève sa toilette matinale. Vu (de dos) par l’entrebâillement de la porte de la salle de bain, son corps est un véritable « monticule adipeux » qui souffle et geint parfois comme un volcan mal éteint. Le cheveu bouclé lui mange une bonne partie du visage, et le volumineux garçon de pas vingt ans de déambuler dans la maison familiale en « s’occupant » comme il peut (TV, jeu vidéo, un peu de musique et des heures au fond de son lit en « tue l’ennui », par défaut…) entre deux moments où l’irrépressible besoin d’engloutir tout «élément nutritif » à sa portée, le reprend. Sans travail après des études post secondaires rapidement abandonnées, Arnaud « vivote » au sein du logis familial aux côtés d’un père avec lequel il s’entend mal. Une famille, ou plutôt un évènement traumatique survenu en son sein – le décès de sa mère trois ans plus tôt – marque sans doute l’instant « T », où la trajectoire de vie d’Arnaud a épousé une courbe rentrante, pour se perdre dans les replis toujours plus nombreux et denses d’une masse corporelle refuge bientôt condamnée à l’immobilisme. Et à l’exception de quelques furtives escapades dans les proches alentours en compagnie de son chien, la vie sociale d’Arnaud semble se résumer à un face à face tendu et permanant entre le garçon et son père, à de sporadiques visites chez sa grand-mère, et à une certaine résignation quant à son sort « d’ermite dévorant ».
Mais Arnaud a décidé de se ressaisir et choisit la chirurgie (la pose d’un bypass gastrique visant à une réduction de l’estomac) comme tremplin d’une reprise en main qui va non seulement redonner à ce corps la pleine autonomie de ses fonctions motrices essentielles mais être porteur d’un changement radical plus profond. Car au-delà de l’opération chirurgicale proprement dite (à peine esquissée dans le doc), c’est résolument à une (re)conquête de son moi social par jeune homme, à présent mû par une volonté retrouvée et une énergie nouvelle et décuplée que lui confère une rapide et régulière réduction de masse corporelle, que l’on assiste ici. Un réapprentissage de l’existence qui passe à la fois par la double épreuve de la confrontation au regard de l’autre et à une parole qui va glisser tout doucement du registre de la souffrance (mettre le « mal » en mots) vers celui d’un discours agissant. Car entre les motivations de départ énoncées au-devant d’un médecin ( ?) d’une voix plaintive au jeune homme qui plaisante et s’essaye à l’autodérision dans une salle de sport après avoir transité par des groupes de prise de parole en public (sur le modèle des AA, mais composés dont les intervenants sont confrontés à des problèmes de surpoids), passe l’écho d’une transformation graduelle, mais radicale et à sens unique qui s’opère sous nos yeux.
Une « métamorphose » consignée avec pudeur qui par un réalisateur s’attache à demeurer à bonne distance de son sujet, ne cédant en rien à l’esthétisme racoleur des images chics et chocs et à l’idéologie de la performance pour la performance (pas la plus petite trace d’un commentaire à la « Arnaud a décidé de perdre 25 kilos en deux mois ! Y arrivera-t-il ? ») de trop de reportages télévisuels d’aujourd’hui. La démarche d’Hermans épouse davantage celle de l’ombre de son sujet, le serrant pas à pas tout en se faisant oublier. A des lieues d’un reportage sur la « fonte des graisses grâce aux avancées de la chirurgie », c’est à la sortie progressive d’une adolescence difficile vers un âge adulte synonyme de projet de vie (le film s’étale sur une demi-année, d’un début hiver sombre à la moiteur d’un été ensoleillé). Le Spadois perd peut-être du poids si rapidement que se vêtir redevient un vrai problème quotidien, mais le réalisateur dépasse rapidement ce constat des plus banal pour présenter un garçon habité d’une assurance retrouvée ; plus franc dans ses conversations avec des interlocuteurs qu’il regarde dans le blanc des yeux ; jovial ; et (légèrement) éméché lors d’une fête locale, et s’interrogeant concrètement sur son devenir professionnel. Deux indices corroborent ce changement : une nouvelle coupe de cheveux (une gentille brosse) qui lui ouvre le visage et une participation à un défilé de mode comme mannequin (pour les ronds). Une autonomie nouvelle qui l’encourage à emménager seul et à peut être s’engager sur la voie d’une carrière militaire…Et c’est presque un autre Arnaud, dont le tour de taille stabilisé au niveau de la moyenne anonyme, qui fait ses adieux à un père au bord des larmes. Mais pas d’effusions lacrymales à attendre, la camera demeurera discrète et secrète jusqu’au bout. Avant de se retirer.
Elle, ce corps étranger …
Yannick Hustache, La Médiathèque