Panda Farnana, un congolais qui dérange
Panda Farnana est une biographie du premier Congolais diplômé de l’enseignement supérieur en Belgique au 20e siècle. Le film retrace une vie passée entre la Belgique et le Congo, entre la puissance coloniale qui l’a éduqué et l’emploie, et l’exploitation dont sa terre natale est victime.
À la fin du XIXème siècle, les contacts entre la Belgique et sa colonie du Congo étaient en grande partie à sens unique, et si la métropole entretenait une certaine présence en Afrique, rares étaient les congolais à qui il était permis de faire la traversée inverse. Né à Banana en 1888, le jeune Paul Panda Farnana M’Fumu verra son destin prendre un tour inattendu lorsqu’il sera choisi comme boy par le Lieutenant Charles Derscheid, directeur des magasins généraux de Boma, pour servir de nounou à son futur fils. Rappelé au pays, le fonctionnaire emmènera le jeune garçon dans ses bagages mais le décès de sa femme durant le voyage privera Panda de son emploi. Toutefois, plutôt que de se voir renvoyé purement et simplement dans ses foyers, il sera adopté par Lise Dersheid, la sœur de Charles, qui s’était prise d’affection pour l’enfant. C’est à elle qu’il devra son éducation et l’opportunité d’entamer des études d’agronomie à Vilvoorde, dont il sortira diplômé avec la plus grande distinction et une spécialisation en culture coloniale. A une époque où l’on exhibait dans le domaine royal de Tervuren, au Palais des Colonies, des « villages congolais » complets peuplés de 200 « indigènes » importés pour l’occasion, cette nomination était assez exceptionnelle.
En 1909, Panda partira travailler au Congo, engagé par le ministère des colonies en qualité de « chef de cultures de troisième classe ». Ce sera la fin de ses illusions et ses premières confrontations avec le racisme et la petitesse d’esprit des fonctionnaires coloniaux. Son supérieur hiérarchique, le directeur du jardin botanique d’Eala, n’aura de cesse de se plaindre de lui, le jugeant « incapable de travaux complexes » et manquant de fermeté avec les employés noirs. Il suppliera le ministère de « remplacer par un blanc l’indigène Panda ». Ses autres collègues n’auront pas une meilleure attitude envers lui et s’efforceront de l’exclure de la vie sociale des coloniaux. Après un congé d’un an en Belgique à sa demande, il retournera au Congo, cette fois affecté à un poste où il devait travailler seul, mais restera, là encore, en butte aux vexations de ses collègues et supérieurs. Il mettra lui-même fin à sa malheureuse carrière de fonctionnaire colonial en s’engageant durant le conflit 1914-18 dans un détachement de volontaires congolais. Ce bataillon, qui comportait en tout et pour tout trois soldats noirs, sera fait prisonnier à Namur et emmené en Allemagne où il sera décimé par les mauvais traitements et la maladie.
C’est après la libération que Panda se dirigea vers ce qu’il considèrera jusqu’à la fin de sa vie comme sa mission : lutter pour l’éducation et l’émancipation des africains. Comprenant l’importance de savoir lire et écrire et la nécessité de créer une classe de congolais instruits, il fondera en Belgique une institution baptisée « Union Congolaise » qui sera une « société de secours et de développement moral et intellectuel de la race congolaise », débutant avec trente membres, tous analphabètes. C’est comme président de cette société qu’il sera de plus en plus appelé à prendre la parole lors de débats publics, comme notamment au Congrès Colonial de 1920, où ses protestations contre le traitement injuste des noirs du Congo et le pillage du pays par la Belgique le mirent en porte-à -faux avec les conservateurs du pays. S’il dénonçait comme un scandale le manque cruel d’écoles (sept établissements pour dix millions d’habitants), ses adversaires lui rétorquaient que seule une « évolution lente » convenait aux malheureux indigènes. Sa participation au Congrès Panafricain, présidé par Blaise Diagne et Paul Otlet, aux côtés des militants américains de la National Association for the Advancement of coloured People, le fera taxer de menées communistes et accuser de prêcher la décolonisation. Il deviendra la cible principale du journal réactionnaire « l’Avenir Colonial Belge » qui le traitera de bolchévique et le surnommera « le petit boy ». Constamment sous pression, sujet à une surveillance policière permanente, il renoncera à prendre part au deuxième Congrès Panafricain, et retournera au Congo, cette fois définitivement. Il s’installera à Nzemba où il construira une école et œuvrera à l’instruction de la population locale. Il y mourra en 1930, empoisonné par un membre de sa famille. Après sa mort, le gouvernement colonial belge interdira à l’avenir aux congolais de partir étudier en Belgique.
Benoît Deuxant, La Médiathèque