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MASS MOVING de Françoise LEVIE (Memento) - Belgique - 2007

Lundi 30 Septembre 2013

En retraçant les quelques années d’existence du groupe Mass Moving, le film raconte l’histoire d’un pan peu connu de la création artistique contemporaine. Mass Moving n’est pas vraiment un mouvement mais plutôt un collectif informel, composé d’un nombre variable d’intervenants en tous genres - artistes, acteurs, ingénieurs, architectes, etc. - se rassemblant autour de projets particuliers d’interventions, de happening, d’actions éphémères. Leur association était tout aussi libre et ouverte que leurs actions ne furent fugaces et radicales.

Né de la rencontre, entre la Belgique et les Pays-Bas, d’une série de personnalités fortes, le groupe s’est constitué autour d’un désir commun de sortir l’art de son contexte habituel, officiel, de délaisser les galeries, les musées, les salles de spectacles, et de proposer des actes de guérilla culturelle dans l’espace public, dans les centres urbains comme dans des lieux au contraire reculés et déserts. Inspiré par les élans contestataires de Mai 1968, par les idées des situationnistes, et par la remise en question des pratiques artistiques lancée  par les avant-gardes de l’après-guerre, le groupe va pendant sept ans réaliser un nombre étonnant d’actions de toutes sortes jusqu’à la cessation totale de ses activités en 1976. Elles les mèneront autour du monde, du fond de la Belgique jusqu’aux sommets de l’Himalaya, des déserts africains à Hiroshima, d’invitations officielles à la Biennale de Venise à des opérations de commando en marge de tout circuit reconnu. Le collectif, selon l’inspiration, se lancera dans des spectacles anarchiques de théâtre expérimental, dans la conception d’un cocon géant pour douze mille papillons, dans la construction d’un bus à mille pattes, ou la réalisation d’un réseau mondial d’orgues à vent en bambou, changeant de registre, de personnel et d’échelle pour chaque réalisation, mais conservant pour chacune d’entre elles une même éthique et une même philosophie : mêler l’artistique et le politique, aborder des thèmes écologiques et humanitaires à travers des actes poétiques inattendus. Leur carrière suivra étrangement un certain nombre de fils rouges (ou plutôt roses) entre leurs  différentes manifestations : le parfum, les ombres peintes, les papillons et leurs chrysalides, le béton et le vent.  Comme un bon suspens, le film nous révèle immédiatement la fin de l’histoire, la clôture de l’aventure Mass Moving par un gigantesque autodafé, par lequel le groupe fera disparaître toutes ses œuvres, toutes ses archives, toutes traces matérielles de son existence. Mais si le choix de cette fin radicale a été justifié par la position, partagée par tous, qu’un groupe aussi radical dans ses principes artistiques et politiques devait faire tout ce qui était en son possible pour éviter la récupération, et que toute exploitation ultérieure de ses travaux éphémères était en contradiction avec les thèses de l’association, la manière dont les choses se sont passées, dans les faits, met en évidence d’autres mécaniques, plus complexes. Si le groupe était, on l’a vu, informel et spontané, il gravitait toutefois autour d’un noyau dur constitué des fondateurs historiques dans un premier temps, et par la suite d’un binôme formé de deux personnalités complémentaires et opposées, le grand flamand Raf et le petit wallon Bernard, qui vont longtemps fédérer l’énergie du collectif, mais se refuseront toujours à admettre ou à accepter leur position de leaders. Néanmoins les arcanes mystérieuses de la dynamique de groupe remettra en cause ce fonctionnement collectif, et les dernières années seront marquées par des dissensions de plus en plus graves, et des désaccords profonds devant l’exigence de plus en plus grande de discipline (notamment dans le cadre des projets les plus « dangereux », traversée du désert ou voyage au Pôle Nord) et devant l’autoritarisme, réel ou imaginé, des uns ou des autres. Une discorde insoluble, hargneuse, s’est alors installée au sein du collectif pour lequel la dissolution et l’autodafé se sont révélé la seule thérapie possible. Il faudra par la suite de longues années pour parvenir à une forme de réconciliation. C’est elle qui a rendu, trois décennies plus tard, ce film possible. Grâce à lui chaque point de vue peut enfin s’exprimer, se clarifier, et les anciens participants peuvent enfin revenir, avec une certaine sérénité, et une certaine fierté, sur la fantastique aventure trop peu connue que fut le groupe Mass Moving.

 

Benoit Deuxant -PointCulture