Polders – Les Noces de la Terre, de l’Eau et du Ciel (Claudio SERUGHETTI, 1998)
Un homme marche dans l’obscurité, une lanterne à la main. Le bruit du ressac occupe l’espace. Eaux profondes éclairez-vous… La voix du poète se superpose à celle de la mer et le regard suit une barque vide qui flotte sur une eau tranquille comme emportant le songe des mots. Eaux profondes révélez-vous…
Sur la terre, le labour, le travail de l’homme, les Polders sont le résultat d’une lutte séculaire de l’homme contre la mer. Ils portent une histoire profonde de patience et de courage… La voix du poète commente les images elles-mêmes poétiques, belles et vraies, reflet capturé de la nature qui les inspire, Ils sont des terres conquises sur la mer dont l’aspect renvoie à une méditation profonde…
La charrue retourne la terre. Cris d’oiseaux, son d’une sirène, l’éternel y frémit. Sur la plage les reflets du ciel, les pécheurs marchent dans les vagues. Dans l’eau le soleil s’écoule et se disperse. Le vent soulève le sable, voiles de poussière, ondoiements, mouvance, fluidité. La barque vide glisse au long d’un canal, le monde comme bric-à-brac enchanté sous les nuages…
Homme de quoi te crois-tu fait ?
De quoi ? De nougat ? De chocolat ? De massepain ?
Non, non, de boue.
Les brouillards se perdent au creux des dunes étendues, et les couleurs s’estompent. Il y a dans la brume beaucoup de vérité cachée…
La terre labourée, la barque file doucement. Un poète dans un bistrot dessine sur un sous-verre des notes de musique. Une estacade, un chenal, l’homme marche au milieu de l’eau, une musique dans la tête. Et toujours le labour des terres, de l’aube au crépuscule. Les pylônes érigés tracent des lignes noires dans le ciel et le poète pense au mal qui se multiplie sur la terre comme une lèpre verruqueuse et cherche à explorer le noir de l’être.
Barque immobile, paysage figé. Voici qu’une bruyante machinerie pose un bateau sur l’eau, une arche, une péniche, le rêve d’un homme sur cette terre dévorée et bénie par le ciel.
Images d’eau. La barque poursuit son voyage tranquille. Ciel chargé de nuages. Le poète marche le long du canal, le polders me contraint à la contemplation. Un orage éclate, il pleut sur la mer. Les Polders sont des terres conquises sur la mer, terres imprégnées de mer. Terres grasses et boueuses des berges. Eaux, végétaux, semailles dans les vagues de terre qu’ont creusées les charrues, fleurs que l’on dit cueillies dans quelque fonds marin…
Et le poète marche encore sous l’orage, il va vers la mer, marche en elle comme vers la mort, détaché, comme l’eau se retire et laisse aux mains profondes l’usage d’un monde qui respire… ainsi il faudra comme elle que je m’en aille… que l’orage dans ma main grise je l’emporte comme un trésor de lumière et de paix… que l’eau soit enfin la dépositaire de tout cela qu’il me faut taire et qui m’épuise.
Les Polders engendrent sans cesse leur propre rêve pour que l’homme y marche, y rêve, sincère et solitaire, enfant d’un rêve qui me dépasse au point que je l’ignore.
Françoise Vandenwouwer - PointCulture