Kongo - Seconde partie : les grandes illusions (1908-1960)
Terre de promesses et de souffrances.
KONGO de Samuel Tilman, Daniel Cattier, Isabelle & Jean-François Bastin
Un documentaire original en trois parties qui mêle procédés d’animation modernes et images d’époque, faits historiques établis et points de vue subjectifs, et propose un regard différent sur un pays « continent » et ses relations, ambigües, complexes et difficiles avec la petite nation qui l’a pratiquement fait naître : la Belgique.
Seconde partie : les grandes illusions (1908-1960)
Cédé sous la contrainte (morale) par Léopold II à la Belgique, le Congo devient une colonie dont le développement économique se fait essentiellement au profit de la petite minorité blanche qui occupe sans partage chacun des leviers du pouvoir, au détriment de l’immense majorité noire presque silencieuse. Portrait croisé de deux mondes qui se côtoient sans s’interpénétrer vraiment au travers de quelques figures significatives et/ou originales.
Alors qu’elle hérite en 1908 d’un territoire grand comme 80 fois sa superficie, la Belgique se donne comme impératif de faire oublier les aspects les plus négatifs de l’action africaine de son ancien suzerain au sein de son ex domaine colonial privé, l’Etat indépendant du Congo. L’administration, l’église et les sociétés financières en seront durant 50 ans les piliers, avec la Société Générale en clé de voute. Une charte est votée par le parlement belge qui entend mettre fins aux abus de l’exploitation et favoriser un développement harmonieux du Congo. « Ces boula matari » (« briseur de roches », nom donnés par les noirs aux blancs bâtisseurs) continuent de défricher, de construire des infrastructures lourdes et dont le nombre passe bientôt à plusieurs milliers, bien que l’Etat Belge n’ait rien fait pour encourager l’implantation d’Européens. Le système colonial en appelle à l’ordre, la discipline (et parfois à la force) et offre le Belge comme modèle unique de référence culturel et moral à suivre. C’est une (petite) tête blanche sur un gigantesque corps noir.
Néanmoins, durant le premier conflit mondial, des indigènes sont recrutés et envoyés au combat au sein de la Force publique dans l’Afrique de l’Est qui se distingue par son courage. Dans l’immédiat après-guerre, la demande croissante de cuivre et de zinc conduit l’Union Minière, filiale de la Société Générale, à revenir à un mode de travail forcé qui enclenche une spirale de révoltes suivies de répression. Des voix s’élèvent telles celles de Simon Kibongo ou encore Paul Panda Farnana qui plaident pour une émancipation toujours plus grande pour les Congolais. Le socialiste Emile Vandervelde envoie à son tour une commission d’enquête sur les conditions de vie et de travail au sein des plantations, mines et carrières. Mais l’ordre colonial résiste, les affaires demeurent florissantes et la ségrégation « douce » est la norme.
Une autre coupure intervient pendant la seconde guerre mondiale entre une métropole occupée par les Allemands et sa colonie qui, sous l’impulsion du Gouverneur Général Pierre Ryckmans, engage des troupes aux côtés des alliés. Celui-ci reconnaît la dette morale de la Belgique vis-à-vis d’un Congo où l’ascenseur social commence à produire ses premiers effets tangibles.
L’après-guerre est à la décolonisation même si la Belgique feint l’ignorance et qu’une nouvelle génération tant du côté africain (Joseph Kasa-Vubu) que du côté belge plaide pour un autre type de collaboration. Les premiers appelant à plus de partage des responsabilités en sur base d’une ancestralité bien supérieure sur le sol africain, et les seconds qui veulent faire de la colonie un modèle d’harmonie et de mixité. Mais dans les faits, le « mélange » reste de façade (ex : les enfants métis finissent à l’orphelinat) et seule une frange minuscule des Congolais appelés les « évolués » - parce qu’ils adoptent une posture volontairement mimétique vis-à-vis des blancs - embarque de justesse dans l’ascenseur social. Parmi eux, un employé des postes, Patrice Lumumba développe ses idées autour de la décolonisation et du nationalisme dans un livre écrit en prison. C’est qu’entre des colons qui rêvent parfois tout haut, de Rhodésie ou d’Afrique du Sud, ces territoires « blanc », arrachés au continent africain, et un tiers-monde en phase de constitution et d’émancipation, les voix des modérés (Jef Van Bilsen) qui plaident pour la création encadrée d’une élite indigène ont du mal à se faire entendre. Un travail de longue haleine (30 ans au moins) fraichement accueilli par les élites belges mais globalement bien reçu par des « évolués » qui découvrent via l’Exposition universelle de 1958 qu’il existe des Belges de condition sociale modeste et des intellectuels opposés à la colonisation.
Mais dès 1958, l’histoire s’accélère. A présent président du Mouvement National Congolais, Patrice Lumumba s’inscrit pleinement dans la mouvance panafricaine qui réclame l’indépendance au plus tôt pour tous les pays d’Afrique. En 1959, des échauffourées éclatent à Léopoldville. Violement réprimées, elles conduisent la Belgique à opter pour l’indépendance du Congo sans que rien ne soit prévu pour l’y préparer. La minorité blanche fait de la résistance et des signes de sécession interne apparaissent ci-et-là mais principalement dans la riche province du Katanga derrière Moïse Tshombe. Les pourparlers belgo-congolais débutent dès l’hiver 1960 et, grâce à l’action d’un véritable front commun africain, les seconds obtiennent leur indépendance pour le 30 juin de la même année.
La préparation des premières élections libres dans le pays donnent lieux aux spéculations les plus folles alors que le Congo n’a pas d’argent dans ses caisses. Lumumba est élu président et Kasa-Vubu premier ministre. Et signe que la rupture est bel et bien consommée entre la Belgique du roi Baudouin et son ex colonie, Lumumba prononce un discours resté célèbre, préludant à une guerre civile qui depuis longtemps couvait.
Yannick Hustache (PointCulture)