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Chaumière (Emmanuel MARRE, 2013)

Vendredi 22 Août 2014

Dans l’imaginaire littéraire, l’hôtel est entouré de l’aura romantique du voyage, du luxe, de « la belle vie ». C’est une parenthèse de style, à l’opulence plus ou moins généreuse selon les cas. C’est une rupture du quotidien pour un confort temporaire parfois un peu honteux, parfois un peu indulgent.

Les Hôtels Formule 1 ont choisi la voie inverse, faisant fi de tout cachet, de tout cliquant, même le plus mensonger, pour privilégier l’efficacité et la rentabilité. L’hôtel et ses chambres sont réduits à un strict minimum fonctionnel, les espaces y sont uniformisés, formatés. Quelque soit sa situation géographique, le Formule 1 offre à sa clientèle les mêmes modules de bases, partout identiques, du lobby à la micro-salle à manger. Tout y est standardisé, de la couleur des draps aux dimensions des chambres, tout y est calculé afin de minimiser le coût, pour le client comme pour la chaîne. Pour parvenir à ce résultat, le premier choix s’est porté sur une réduction drastique du personnel, sur l’installation d’interfaces permettant un fonctionnement en self-service : distributeurs de boissons et de nourriture, serrure à code pour remplacer les clés, etc. Le choix, ensuite, a été d’installer les bâtiments en périphérie des zones urbaines, quasi au milieu de nulle part, dans des quartiers plus économiques, des zonings, et de les construire sur un même plan de base. Les fondements de la charte de la chaîne, qui servent de mots d’ordre, de slogans publicitaires, prennent le contrepied des valeurs traditionnellement associé à l’expérience du séjour en hôtel : « pourquoi mettre une salle de bain dans sa chambre ? », « à quoi sert la vue sur la mer quand on dort ? », « à quoi sert le paysage quand on dort ? ». Les Formules 1 tirent leur fierté de cette inversion, de sa réduction radicale à un statut de machine à dormir.

Le film d’Emmanuel Marre, après une description froide des lieux, relève immédiatement des contre-exemples à ce crédo, découvrant étonnamment l’existence d’habitués, de gens « habitant » ces endroits pensés à l’origine comme temporaires, provisoires. Si pour certains il s’agit d’une situation « exceptionnelle », d’un choix en dernier recours, d’autres s’y établissent par goût, et disent apprécier l’anonymat, la familiarité rassurante des chambres uniformes. Pour les uns c’est une chute un peu sordide dans la précarité, pour d’autres c’est un dortoir fonctionnel, irréprochable dans son efficacité. Le réalisateur présente une galerie de portraits de quelques uns de ces résidents, chacun avec sa vie, ses raisons d’être là, chacun avec son approche des lieux. Derrière la standardisation apparente des bâtiments, toutes les histoires sont uniques. Dans ces hôtels où il n’y a rien à voir, le réalisateur découvre, dès les premiers plans fixes, des anomalies, des singularités. Malgré le formatage, le fonctionnement imposé par un mode d’emploi dirigiste, la vie humaine déborde du cadre et refuse de se laisser normaliser.

Benoît Deuxant - PointCulture