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Le désordre alphabétique (Claude FRANÇOIS, 2013)

Mardi 02 Septembre 2014

La lune éclaire le monde d’une autre lumière, elle nous révèle d’autres apparences, d’autres ombres et d’autres reflets. D’autres interprétations possibles du réel.  Claude François, le réalisateur de cet alphabet désordonné, la convoque dès la première image, évoquant la plume de Pierrot et le pouvoir des mots, au clair de lune.  Les mots et les images, le sens des mots sur les images, les mots comme images, les images assemblées en énigmes qui génèrent d’autres images dont on perd le sens et qui pourtant portent leur propre sens…  Il n’est pas besoin d’être un artiste pour être surréaliste, dit Jean Wallenborn (physicien et poète), le surréalisme est une éthique, une manière d’être qui remet en cause la société et la pensée commune. Et la lune nous rappelle éclairant la lettre D, qu’il nous faut garder la distance, toujours pour regarder le monde.

 

L’activité surréaliste en Belgique a commencé indépendamment du mouvement d’André Breton et sera prolifique et singulière. Les groupes se formeront autour de l’amitié, peintres, musiciens, poètes et autres penseurs perturbateurs du sens commun. Paul Nougé, Marcel Mariën, Camille Goemans, Marcel Leconte, André Souris, René Magritte, Achille Chavée, Fernand Dumont, Armand Simon, Louis Scutenaire, Paul Colinet, Robert Willems, Roger Van de Wouwer, Tom Gutt, Raoul Ubac…et plus près de nous (car l’activité surréaliste en Belgique n’a jamais cessé), André Stas (collagiste, spécialiste des fous littéraires et pataphysicien), Xavier Canonne (écrivain, peintre, collagiste, éditeur, directeur du Musée de la Photographie à Charleroi, commissaire de la toute récente exposition Abécédaire du Surréalisme au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, Février-Avril 2014), Jacques Lacomblez (peintre, poète, éditeur)… Des noms, des personnalités, les portraits se succèdent dans ce passionnant désordre, hommes en costume qui ont souvent l’air sérieux, si sérieux, comme Scutenaire et Colinet, assis face à face dans une baignoire. Point besoin non plus d’être un homme pour être surréaliste. Les œuvres de Rachel Baes, Jane Graverol, Irène Hamoir, Claudine Jamagne… peintres, écrivaines, viennent accroître la diversité du mouvement.

Et c’est comme un engagement politique, révolutionnaire, on peut être exclu du groupe si l’on déroge à l’éthique. André Souris, musicien dont Xavier Canonne dit qu’il est le musicien du surréalisme, en sera exclu pour avoir dirigé une messe. Marcel Leconte sera écarté de la revue Correspondance car trop préoccupé de littérature (il sera cependant souvent représenté par Magritte sur ses toiles). Question politique, dans ces années- là, celles précédant la deuxième guerre, l’engagement se tourne entre autre vers le communisme et l’anarchisme. Achille Chavée et ceux du groupe Rupture, du Hainaut, seront des communistes purs et durs. Fernand Dumont, membre du groupe, mourra dans un camp de concentration en 1945. Mais il n’est pas non plus exigé d’être engagé politiquement pour être surréaliste.

Le film a été réalisé lors du montage de l’exposition organisée par Xavier Canonne au BAM en 2007. Toiles, objets, documents littéraires attestent de la richesse, de la complexité des expériences artistiques et de la pensée qui actionnèrent le mouvement. Si le surréalisme marque encore nos esprits, notre façon d’interpréter certaines situations, certaines tournures du réel, nous réduisons trop souvent l’extraordinaire portée du mouvement à un adjectif qui définit une situation jugée décalée de la réalité tout comme pour l’œuvre de Kafka, trop souvent réduite à qualifier des situations complexes et absurdes. Pourvu qu’une étincelle surréaliste brille encore dans les prunelles de certains d’entre nous, elle nous incite à prendre les distances, à ne pas craindre les vertiges du réel, et  hors des sentiers battus à regarder toujours de l’autre côté du miroir.

Françoise Vandenwouwer - PointCulture