Guerre et paix en Irlande (Arthur MacCaig, 1998)
Le plus long conflit civil européen du XXème siècle (1968-1998) (ré)expliqué à l’aune du complexe ordonnancement des faits historiques. Didactique et clair, bien que sensible aux thèses républicaines, le travail d Arthur MacCaig se place tout entier dans la perspective d’une lente mais inexorable marche vers une paix, certes, toujours fragile, mais qui 15 ans plus tard, a prouvé toute sa solidité !
Américain d’origine irlandaise, Arthur MacCaig a vécu en une vingtaine d’années en France et ses films ont le souci d’expliquer les choses, sans se soustraire à la complexité intrinsèque du réel, non sans montrer une certaine « empathie » à l’égard de l’une des « parties », mais avec une finalité inscrite d’entrée de jeu, celle d’une paix qui, après bien des détours et errements finira par s’imposer. Et au moment où MacCaig réalise son film (1998), celle-ci est encore bien fragile, assortie d’aucune garantie de pérennité.
D’autant que cette guerre civile qui éclate en octobre 1968 dans la partie nord de l’île plonge ses racines dans une double et profonde fracture d’ordre à la fois sociologique, économique et religieuse. La première est celle d’un pays-ile – l’Irlande - dont la majeure partie (26 comtés), de confession catholique, a gagné son indépendance de longue lutte en 1921, et devient la république d’Irlande, avec Dublin pour capitale. Alors que les neufs comtés économiquement plus développés de la partie septentrionale demeurent assujetti à la couronne anglaise forment l’Ulster, avec Belfast pour capitale. Les catholiques y sont minoritaires et exclus des leviers de la société nord-irlandaise, aux mains des descendants de colons protestants arrivés à partir du XVIIème siècle, et farouchement attachés au Royaume-Uni.
Une discrimination à l’origine d’une protestation qui monte dès la fin des années 60 et qui prend à ses début une forme pacifique, calquée sur celle qu’a adoptée la lutte pour les droits civiques des Noirs américains. Durement réprimée par les loyalistes qui instaurent un climat de guerre civile - les premiers morts sont à déplorer dès 1969 - la contestation tourne bientôt à l’insurrection armée et Londres envoie l’armée prendre le relais de la police. Des forces militaires perçues comme des troupes d’occupation aux yeux des catholiques. Fort du soutien des expatriés, l’I.R.A. (armée républicaine irlandaise) devient capable, dès le début des années ’70 de porter des coups aux Britanniques, et multiplie attentats et embuscades. Gerry Adams, identifié comme son chef politique est alors l’homme le plus recherché d’Ulster. En vertu d’une loi d’exception de 1971, les forces militaires arrêtent ensuite des dizaines d’activistes et les détiennent sans motif. Le 31/01/1972, une marche pacifique à Derry tourne au carnage : c’est le terrible « bloody Sunday » (dimanche de sang, 14 morts).
Malgré quelques timides pourparlers entre le gouvernement anglais et le Sinn Féin (l’I.R.A. politique, dirigée par Adams), la guerre s’enlise. L’amiral Mountbatten est tué en 1979 et en réaction, le statut de prisonnier politique est supprimé. C’est la grève des « excréments » suivie, en 1981 d’une autre, cette fois de la faim. Malgré son élection au parlement britannique de Bobby Sands, leader des grévistes meurt dans sa cellule, victime de l’intransigeance du Premier ministre Margaret Thatcher. Le combat se poursuit cette fois sur deux plans, politique via le Sinn Féin et l’envoi d’Adams à Westminster, et militaire par les démonstrations de force plus en plus spectaculaires de l’I.R.A. En 1984, la convention du parti conservateur est la cible d’un attentat et en 1991, des obus de mortier célèbrent à leur manière, l’arrivée du nouveau chef du gouvernement, John Major.
Mais à l’écart de l’I.R.A., d’autres leaders tels John Hume prônent la voie de la négociation. De même, l’arrivée d’un nouveau Premier ministre, Albert Reynolds pousse l’Irlande du Sud à entrer dans le jeu politique en tant qu’acteur à part entière. Downing Street commence à évoquer la possibilité d’une solution négociée à partir de 1993. L’année suivante, et après l’intervention indirecte de l’administration Clinton, un premier cessez-le-feu de l’I.R.A est obtenu. Mais le chemin vers la paix sera encore long, entre ruptures répétées de la trêve dans le chef d’une I.R.A. en proie à de profondes divisions internes, et les constants atermoiements/revirements dans la ligne politique des décideurs anglaise. Et il faut attendre 1997 et l’arrivée du travailliste Tony Blair pour mettre définitivement sur les rails un processus de paix toujours sensible à la moindre étincelle de violence (l’épineux cas des marches loyalistes). Enfin, en décembre 1997, une délégation du Sinn Féin est reçue à Londres et les pourparlers continuent jusqu’à un accord de paix définitif signé en 1998… (après la réalisation du film).
Si le film, ne fait pas mystère de sa quasi sympathie vis-à-vis de la cause nationaliste, son propos, strictement articulé autours d’images d’actualités et d’interviews d’un petit nombre d’acteurs du drame (Adams, David Irvine, Reynolds…), dresse un portrait lisible et factuel de cette avant-dernière guerre civile européenne, suivant les tracés au pointillé de ses principales lignes de force, en montrant qu’elles ne pouvaient, à un moment où à un autre, que converger vers la paix.
Seules ombres au tableau évoquées dans le film et toujours d’actualité : le statut politique définitif de l’Ulster, et une véritable réconciliation nationale et interconfessionnelle qui se font attendre.
Yannick Hustache - PointCulture