L’Ile où dormait L’Age d’or (Isabelle DIERCKX, 2005)
L’histoire du monde est comme un puzzle surréaliste dont aucune pièce ne s’ajusterait vraiment et qui serait elle-même un puzzle dont aucune pièce ne s’ajusterait vraiment et qui serait elle-même un puzzle dont aucune pièce….
« A tout moment surgit une nouvelle histoire que j’ai envie de suivre… », dit la voix de la cinéaste qui nous invite à vagabonder sur les trois îles de l’archipel des Canaries, Gran Canaria, Tenerife et Lanzarote. Et c’est sur les traces d’une copie « enterrée » de L’Age d’or que se forme un patchwork d’images et d’histoires où se croisent fragments de mémoire, personnages, paysages et objets les plus hétéroclites, assemblage qui n’aurait pas déplu à André Breton qui vint sur l’île en 1935 avec Benjamin Péret pour préparer une exposition internationale consacrée au surréalisme et organisée par des artistes canariens. Entre des grenouilles de pierre et un bazar chinois où l’on trouve des merveilleux objets improbables (dont on se demande toujours « qui a bien pu penser à créer ça ? »), entre une statue de Saint-Nicolas qui regarde la mer dans une barque emplie de plantes à fleurs et des photos de L’Age d’or, fusent les rires des habitants de Las Palmas, la capitale de Gran Canaria. Visite au peintre Pepe Damasso qui parle de la mort et met en scène son enterrement, évocation d’une Vierge des Neiges, peinte à Anvers par le primitif Van Cleef et qui est honorée là depuis la conquête espagnole, souvenir d’une princesse païenne disparue qui a laissé sa silhouette dans les formes d’une montagne… Isabelle Dierckx est sensible à tous ceux qu’elle rencontre, à tout ce qu’elle voit, « envie de filmer toutes ces nouvelles histoires qui surgissent à tout moment ». L’Age d’or a disparu quelque part dans une zone de dunes désormais envahie par les constructions et des artistes canariens sont morts dans des camps de concentration, sur l’île. « Même Sherlock Holmes ne pourrait résoudre l’affaire de la disparition du film, James Bond non plus. »
André Breton à nouveau, la mer et l’amour. Tenerife est l’île de L’Amour fou. La cinéaste mêle souvenirs intimes de premiers voyages sur l’île, du premier amour fou, et fragments de mémoire d’amies insulaires, l’une chante aux murènes et parle des falaises aux formes étranges, l’autre raconte la vie sur l’île avant le tourisme. Et puis il y a l’histoire de ce tourisme invasif, Ten Bel, complexe touristique Tenerife Belgique, la série de cartes postales censurées de deux artistes dénonçant la spéculation sur l’île, l’épisode des suédoises des années 60, « ces choses blondes aux yeux bleus » qui séduisirent les canariens, des histoires qui filent vers la mer par le Passage des Nains. Mais il faut suivre le chemin des surréalistes, de Breton… Un peu de botanique sur les traces de L’Amour fou au jardin d’acclimatation, traversée de la mer de nuages et puis, au-dessus des nuages voir « le monde rêvé et réel du surréalisme pur ».
Le voyage vagabond s’achève à Lanzarote, l’île noire où chantent les pierres. Là encore la lutte s’organise depuis si longtemps pour la défense de l’île contre les spéculateurs, et les habitants inlassablement répètent que leur île n’est pas à vendre. Fin du voyage, la cinéaste nous convie à une veillée sous les étoiles, durant laquelle on fait rôtir un étrange gibier.
Françoise Vandenwouwer - PointCulture