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Brussels footage : une sélection de documentaires tournés à Bruxelles

Présentation

À l'occasion du lancement de Brussels Footage, une plateforme numérique gratuite donnant un aperçu de plus de 120 ans de films (fictions, documentaires et archives SONUMA) tournés à Bruxelles, PointCulture propose une sélection de sept films documentaires, selon plusieurs thématiques particulièrement abordées par le projet : révolte, biodiversité, immigration, justice et santé.

 

Avec Les voisins (1981), débuts prometteurs d’un grand réalisateur en devenir, Jaco Van Dormael se penche sur les relations de voisinage régissant l’existence des habitants du Quartier Léopold. D’une série de témoignages introductifs qui semblent présenter celles-ci sous un jour favorable, se devine néanmoins l’ombre d’une inimitié : en effet, c’est par la négative que ces voisins s’expriment, formulation délibérée et annonciatrice d’une atmosphère passablement nauséabonde. Dans un style décousu, alternant interviews domestiques et micros-trottoirs, le réalisateur met le doigt sur les maux qui semblent ronger ce quartier jouxtant les communes d’Ixelles et d’Etterbeek, entre conflit générationnel et choc culturel, conséquence de l’immigration. Du discours de ces cohabitants, jeunes et moins jeunes, suinte une défiance généralisée des uns envers les autres, de laquelle perce, de ci de là, l’espoir d’un vivre-ensemble, encore à inventer…

En 1995 – année de production du film – la cinéaste belge Marie-Hélène Massin vivait déjà à Saint-Josse-ten-Noode, Rue de l'Abondance, depuis près de dix ans. À un jet de pierre, la chaussée d'Aecht et la commune de Schaerbeek. Territoire à cheval sur deux entités bruxelloises, son quartier est majoritairement constitué d'une communauté turque, arrivée en Belgique à partir de la décennie 1960. À l'époque, les Belges habitant cette zone urbaine déménagent, du fait des vagues d'immigration successives allant s'intensifiant. En 1995, Marie-Hélène Massin et sa famille sont les derniers « anciens Belges » de ce quartier du nord de Bruxelles. C'est ce constat, exempt de tout jugement moral, qui sera à l'origine de ce court métrage documentaire. Par ce dernier, la réalisatrice s'invite dans cet entre-soi culturel, ce village dans la ville au sein duquel trouver du fromage de Herve serait synonyme de gageure. C'est à travers les témoignages d'un groupe de jeunes adultes, comme un pont tendu entre l'Orient et l'Occident, que semble s'esquisser une chance d'intégration, non pas au sens d'absorption pure et simple, mais bien par l'acceptation réciproque de la culture d'autrui, ainsi que la volonté de s'ouvrir au monde.

Raconté par feue l'actrice Marie Trintignant, Sur la pointe du cœur (2001) met en scène les vicissitudes rythmant l'existence de l'hôpital Saint-Pierre, situé aux abords du quartier des Marolles. Bâtie sur le site d'une ancienne léproserie, à l'image de l’îlot social qu'elle fut jadis, cette institution a vu déferler sur elle toutes les pandémies ayant frappé l'Europe au cours de son histoire, de la variole à la tuberculose, en passant par le sida. Mêlant sans complexe références historiques, poétiques, mais aussi mythologiques – la maladie est comparée au dragon terrassé par Saint-Michel –, ce long métrage signé par Anne Lévy-Morelle tente de pénétrer les arcanes du monde hospitalier par autant de portes que de chapitres, lesquels régissent la structure de son film, métier par métier. Et lorsqu'elle parle de Bruxelles, sa ville, c'est en termes métaphoriques : « La ville en forme de cœur ». En effet, non content de lever le voile sur une réalité méconnue, honnie tant celle-ci nous confronte à l'idée de notre propre finitude, le documentaire suit également le personnel hospitalier jusque dans la cité, là où les ennuis commencent. Est alors brossé le portrait d'une société civile atomisée, voyant chacun, riche et pauvres, esseulés et égaux face à la mort, avec pour ultime destination : l'hôpital public, où les destins se croisent...

Un double homicide, deux dames âgées, zéro mobile : c’est le constat de l’enquête préliminaire établi par la police bruxelloise le 4 octobre 2003, dans le quartier de la porte de Flandre situé à Bruxelles-Ville. Un écheveau à démêler pour le documentariste Richard Olivier qui mène son enquête parallèle à travers le voisinage, donnant ainsi le jour à ce truculent Petits meurtres ordinaires (2004). Les faits : en moins de vingt-quatre heures, Anna Van Reybroek et Luce Frey sont retrouvées sans vie, l’une et l’autre respectivement occises dans une animalerie du 41, rue de Flandre et dans un parking donnant sur la Place du Nouveau Marché aux Grains. C’est dans un tel environnement, ô combien anxiogène pour les habitants et autres commerçants du quartier, qu’évoluera la caméra de Richard Olivier, ce dernier adoptant davantage une attitude de détective privé que de cinéaste, conférant ainsi au film sa nature inclassable. Et si ce dernier se penche effectivement au chevet de l’enquête, il s’emploie également à faire le portrait au vitriol du fils d’une des victimes qui, aux prémices de l’affaire, fut un suspect de choix pour les forces de l’ordre…

C’est par un hiver blanc et rigoureux – saison frugale pour les maraîchers – que débute ce film de Pascal Haas, intitulé Les potagistes (2013). Prenant le parti du contraste pour introduire son sujet, le réalisateur suggère d'emblée les écueils auxquels se heurteront les protagonistes de ce film documentaire, jardiniers amateurs entichés de cet écrin de verdure que sont les potagers Ernotte-Boendal, à un jet de pierre du bois de la Cambre. Lesquels n'en sont pas moins la propriété de la commune d'Ixelles, auto-convaincue de la nécessité de créer de nouveaux logements, plutôt que de préserver les espaces verts encore épargnés par l'artificialisation... C'est donc contre un projet immobilier prétendant envahir leur oasis urbain que se battront ces autoproclamés potagistes. Et pour eux, rien ne sert de s'opposer frontalement au pouvoir public, tant leur propension à la délibération collective leur a enseigné l'art du consensus. Dès lors, un projet hybride – dont le degré d'idéalisme sera laissé à l'appréciation des autorités – sera imaginé par eux, prenant en compte les impératifs expansionnistes de la commune autant que les aspirations riveraines à une certaine reconnexion à la nature et à ses semblables...

C'est au 264, rue Gray – à Ixelles – que le duo de médiateurs sociaux Eléonore Stevens et Jean De Lathouwer tentent de démêler les écheveaux les plus inextricables. Leur objectif : parvenir à un accord amiable pour des litiges qui font déjà potentiellement l'objet d'une procédure juridique et, souvent, concernent des situations de voisinage. Face aux interlocuteurs les plus réfractaires à une médiation, leur métier requiert une patience de tous les instants, leur permettant d’ânonner sans fin des laïus usés jusqu'à la corde, afin d'obtenir d'eux qu'ils consentent à communiquer... Et quand le dialogue s'avère inopérant, il ne reste que le juge de paix pour trancher ces divergences d'opinion. Réalisé par Anne Levi-Morelle, Casus Belli (2015) est fait d'allers-retours entre médiation et justice, la seconde n'excluant d'ailleurs pas nécessairement la première dans cette quête de cohésion sociale que leurs protagonistes semblent mener main dans la main. Au-delà de son aptitude à rendre des jugements, Guy Rommel, juge de paix à Saint-Gilles, joue tantôt un rôle de conciliateur – suggérant de potentiels terrains d'entente à qui veut bien l'entendre –, tantôt celui de thérapeute conjugal, enclin à s'immiscer dans la vie privée de couples dont l'amour semble vacillant...

Selon le jargon carcéral belge, sont qualifiés d' « annexés » ces individus internés au sein d'annexes psychiatriques d'établissements pénitentiaires. Immersion de deux ans dans les tréfonds de la prison de Forest, La nef des fous (2015) est une référence à un ouvrage allemand du XVe siècle, vision pessimiste d'une condition humaine inéluctablement vouée au naufrage. Entre ces murs forestois, croupissent des détenus déclarés irresponsables de leurs actes qui, chaque jour, attendent leur liberté conditionnelle, voire leur transfert vers une institution davantage adaptée à leur état psychique. Réalisé par Éric d'Agostino et Patrick Lamy, ce long métrage documentaire invite le spectateur à porter un autre regard sur cette aliénation mentale trivialement qualifiée de folie et, in fine, à reconsidérer la figure populaire et stéréotypée du fou. En effet, loin des chambres capitonnées et des camisoles de contention, un bon nombre de ces prisonniers témoignent de leurs états d'âme dans une langue claire et articulée, se montrant capables d'une pensée à la fois critique et rationnelle quant à leur condition de détenus. Ce n'est qu'au compte-goutte que le film, jusque là prêtant presque à sourire, dévoile sa part de noirceur...

 

Simon Delwart

Films du cycle