Journée mondiale de la biodiversité
Présentation
Dans le cadre de la Journée Mondiale de la biodiversité et à l’heure où la Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES) publie un dernier rapport alarmant sur l’évolution de la biodiversité sur Terre, PointCulture revient sur cinq documentaires et un court métrage d’animation belges qui abordent à leur façon une problématique écologique toujours plus prégnante dans le débat public.
Véritable ode à l’arbre, le documentaire de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, univoquement baptisé Arbres, raconte patiemment l’histoire de cette espèce végétale détenant ce qu’on serait tenté d’appeler – non sans abuser d’une certaine figure de style –, la « mémoire du monde ». C’est d’ailleurs avec poésie qu’est contée cette épopée, tantôt sur un ton presque mystique, tantôt, malgré tout, dans un registre rigoureusement scientifique, proposant ainsi au spectateur une œuvre hybride, à la croisée des genres. Car, en effet, le narrateur s’emploie tout autant à décrire certaines variétés d’arbres telles qu’elles existent dans la nature, qu’à les personnifier, leur attribuant ainsi des qualités qu’on ne prête généralement qu’au reste du vivant, comme les facultés de communiquer, de se déplacer ou, pourquoi pas, d’être atteint de démence! Non content de posséder ces attributs, l’arbre collabore également avec la faune et la flore, établissant de manière collégiale ce qui, devenu un terme galvaudé par le langage courant, désigne un concept biologique spécifique, à savoir la symbiose.
Produit en 2010, L’homme qui cache la forêt n’a pourtant pas pris une ride, en ce sens que la déforestation à l’échelle planétaire, en tant qu’activité économique, semble avoir encore de beaux jours devant elle. Cependant, il n’a pas fallu attendre le troisième millénaire pour que la métaphore de l’idiot qui scie la branche sur laquelle il est assis prenne son sens : Pascuans, Amérindiens Anasazis, Mayas… toutes ces civilisations n’existant plus aujourd’hui que dans les annales de l’Histoire ont en commun d’avoir « prélevé » – selon la novlang capitaliste en vigueur – davantage de ressources en bois que ne pouvait raisonnablement leur concéder leur écosystème respectif pour assurer sa pérennité, accélérant ainsi leur chute. Contrairement aux homo sapiens de ces civilisations anciennes, nos dirigeants politiques contemporains disposent des avancées continues de la science moderne pour orienter leurs décisions politico-économiques. Pourtant, en dépit de toute rationalité si ce n’est celle de la croissance, de grandes entreprises sont autorisées à avaler – au rythme d’un hectare toutes les quatre secondes – des parts de la forêt Laotienne, et ce pour replanter dans l’espace ainsi créé une « forêt » entièrement reconstituée… d’hévéas. La monoculture étant le parfait antonyme de la biodiversité, une forêt d’hévéas n’est-elle pas, au juste, qu’une énième plantation ?
Réalisé par Manu Coeman en 2011 et Magritte du meilleur documentaire en 2012, LoveMEATender dénonçait déjà l’élevage intensif d’animaux désormais réduits au rang de marchandises : grâce à de simples économies d’échelle, encore une expression empruntée au management, il est dès lors possible de produire de la viande à un coût défiant toute concurrence, y compris celle de l’impact écologique et sanitaire que cette même production engendre inévitablement. Car non, les coûts environnementaux ainsi que ceux liés à la santé ne sont pas pris en compte dans la fixation du prix de la viande sur le marché. Aussi, alors que selon le dernier rapport de l’IPBES près d’un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies, plus de vingt milliards d’animaux d’élevage peuplent aujourd’hui la planète, dénombrant ainsi près de quatorze fois plus d’individus que ceux que compte encore la faune sauvage… Les uns « prospérant » d’ailleurs au dépens des autres puisque, quand un pan de la forêt amazonienne est détruit, c’est souvent au bénéfice de l’élevage de bétail ou de la culture du fourrage qui servira à nourrir ce dernier …
Produit en 2013, Le chant de la fleur peut être vu comme le pendant spirituel de L’homme qui cache la forêt, donnant une tribune précieuse au peuple amérindien de Sarayaku, territoire situé en Equateur, au cœur même de la forêt amazonienne. En effet, c’est notamment dans une perspective animiste qu’est ici considéré sa faune et sa flore : rattachés à ces dernières, des esprits, dont la présence est indispensable à l’équilibre indigène, sont omniprésents. In fine, c’est leur fuite – et donc leur mort – que craint le peuple Kichwa de Sarayaku. Bien sûr, ce qui précède cette mort, ce sont les conséquences directes et tangibles de l’exploitation pétrolière dont les commanditaires, faisant fi des droits de propriété ancestraux et tacites des Kichwa sur le territoire qu’ils occupent, sont soutenus dans leur entreprise par l’armée et l'état équatorien. La conscientisation des nouvelles générations quant aux dommages collatéraux de l’extraction d'hydrocarbures sur l’environnement semble dès lors décisif dans la résistance que mène ce peuple contre son Goliath à lui.
Encore une référence à l’animisme avec Totems, court métrage d’animation réalisé par Paul Jadoul en 2015. C’est en voulant s’approprier la substance d’un arbre qu’il considère peut-être non comme faisant partie du vivant mais comme une simple ressource, qu’un bucheron fait physiquement l’expérience de la vie animale qui sommeille en lui. Et c’est aussi par une métaphore animale que sera figurée sa propre mort, lui qui ne peut dès lors plus se jouer de son environnement en invoquant ses prérogatives humaines, désormais bien vaines…
Dernier film de la prolifique documentariste belge Anne Closset, Autrement (avec des légumes) invite le spectateur à une réflexion essentiellement microsociologique quant aux défis écologiques contemporains. A l’échelle de l’individu, il apparaît souhaitable d’initier un changement de paradigme, permettant ainsi la création d’ilots écologiques et éthiques au sein d’un océan sociétal essentiellement mu par la croissance effrénée et la consommation irréfléchie. Ainsi, des initiatives de production alimentaire locales naissent de-ci de-là et promeuvent à la fois préservation de la microbiologie des sols – essentiel pour une agriculture non seulement biologique mais également pérenne –, culture de saison et vente en circuit court – moins polluantes et permettant la (re)découverte d’aliments peu prisés par la grande distribution –, et d’une manière générale autonomisation par rapport à l’agro-industrie et à l’industrie pétrochimique. Mais qu’en est-il de la question macrosociologique ? Tous les efforts individuels peuvent-ils avoir un quelconque impact si les politiques publiques ne viennent pas, in fine, les corroborer ?
Simon Delwart