Une rentrée pas très académique!
Présentation
Alors que cette rentrée scolaire fut à l'image d'une année 2020 hors-norme tant pour les jeunes que les moins jeunes, PointCulture revient sur une série de documentaires en lien avec la pratique de l’enseignement, lesquels bousculent la figure archétypale du professeur omniscient en esquissant, au crayon de papier, les contours mouvants d’un métier protéiforme.
Documentaire immersif au sein d’une école dite « à pédagogie nomade », Le Gai Savoir (2010), parvient à capter, bon an, mal an, ces instants fugaces et impalpables lors desquels l’embryon capricieux de la démocratie se forme, par l’intelligence collective de professeurs et d’élèves, à la base de la vie citoyenne : l’école. Car oui, l’un des piliers de cet établissement, si particulier, consiste en un principe d’égalité absolue entre enseignants et étudiants, qui prennent alors toute décision de manière collégiale concernant son organisation. Et c’est notamment au travers de ce que nos protagonistes, jeunes et moins jeunes, ont appelé le « droit d’errance » – autrement dit, le droit à l’école buissonnière occasionnelle – et les excès presque inévitables y afférents, que se profilent les limites potentielles de cette pédagogie alternative qui conçoit le professeur davantage comme un « adulte-ressource » qu’un enseignant : elle ne conviendra pas à ceux qui, faute d’une capacité d’autonomisation suffisante, nécessiteront un cadre autrement plus contraignant pour s’épanouir !
Le nom des choses (2011) met en scène le quotidien particulier de Martine Nolis, « animatrice-philo » auprès d’élèves de maternelle et primaire. En effet, cette dernière s’évertue à poser à de jeunes enfants des questions sur lesquelles la plupart des adultes daigneraient à peine s’attarder, parfois faute de temps, souvent par manque de curiosité, voire d’humilité : Quel est l’origine du langage ? Pourquoi les choses portent leur nom? Autrement dit, pourquoi appeler un chat, un chat ? L’intérêt de ces ateliers, puisqu’ils ne prétendent pas apporter de réponses péremptoires à des questions qui laissent toujours la linguistique moderne, voire la philosophie, relativement coi, ne réside pas tant dans ce qu’ils produisent en termes de contenu, mais bien dans la démarche en soi, celle qui consiste à entrouvrir des pistes de réflexion, constituant ainsi une parenthèse nécessaire dans la journée-type de l’écolier moderne, parenthèse paradoxalement plus ouverte que « un et un font deux » …
Filmé dans l’école primaire de Cheratte, dans la Province de Liège, Les enfant du hasard (2017) ouvre une fenêtre contemporaine sur l’histoire de l’immigration en Belgique. En s’attardant sur les visages et la sonorité des noms de ces jeunes élèves, on pourrait croire que le temps s’est arrêté depuis les premières vagues d’immigration turque survenues dans les années 60’. Et pour cause, Cheratte est une ancienne cité minière qui, jadis, rassembla des femmes et des hommes autour d’un dénominateur commun : le travail pour la (sur)vie. C’est ainsi que ces écoliers, héritiers d’un lourd bagage, celui d’être à la fois issu du prolétariat et de l’immigration, se meuvent tant bien que mal vers l’école secondaire et, par conséquent, le vaste monde, hors de Cheratte. C’est là que Brigitte, mi-institutrice, mi-héroïne de cette histoire intervient : à grand renfort de « renforcement positif », elle louvoie habilement au sein de notre, bien rigide, enseignement traditionnel et tente d’élever ses petits étudiants vers le graal : le CEB...
Les jeunes protagonistes de Section professionnelle (2018), une série documentaire tournée au sein de l’Athénée Royale de la Rive Gauche à Laeken, bien qu’ils évoluent déjà dans la cour des grands, partagent avec les enfants de Cheratte leur milieu socio-professionnel et leurs histoires familiales de migration. En effet, leur école est dite « à discrimination positive ». Bien qu’ici, à nouveau, les méthodes pédagogiques, ainsi que celles qui visent à sanctionner, s’apparentent clairement à celles de l’enseignement traditionnel, celles-ci sont diluées par un principe général de bienveillance, eu égard aux situations personnelles des élèves et en cohérence avec l’objet social particulier de l’école. Aussi, et pour ne prendre qu’un exemple, des initiatives spécifiques sont mises en place telles qu’un atelier d’éloquence et d’argumentation (épisode 2), et ce afin de donner à ces jeunes issus de milieux défavorisés les outils leur permettant de gérer leurs divergences d’opinion avec autrui en bonne intelligence. Qui ne bénéficierait pas d’ailleurs de ce type d’initiatives, après tout ?
Emmener des enfants de l’école primaire chaque samedi matin à l’université, c’est le projet de l’école 8 de Schaerbeek, immortalisé par le film Bus Campus (2019). Sur place, des ateliers leur sont dédiés, tantôt thématiques, traitant d’enjeux de société, tantôt pratiques, leur laissant entrevoir les arcanes de métiers à vocation plus scientifique. De nouveau, le film se penche sur les destins croisés d’enfants, tous issus de l’immigration, de première génération pour certains : Radi est né en Bulgarie mais se sent déjà pour partie belge ! Oussama, lui, est d’origine maghrébine mais a grandi en Sicile, cette île qui lui manque tant ! Yassmine, quant à elle, parle arabe et français à la maison, quand Adrian ne connaît encore que sa langue maternelle… Sans surprise, ceux qui parmi eux ne vivent pas leur existence en Belgique comme un déracinement, accueillent avec bien plus d’enthousiasme ces excursions pédagogiques du samedi…
Avec Sortir du rang (2019), on renoue avec la pédagogie alternative dans une école secondaire liégeoise, l’Athénée Léonie de Waha. Cette dernière expérimente depuis une vingtaine d’années un modèle inspiré de la méthode Freinet. Et pour les professeurs qui la composent, l’enjeu y est bien plus que simplement pédagogique, il est carrément démocratique. Non pas que, comme dans la « pédagogie nomade », le principe d’égalité entre corps professoral et élèves y soit aussi radical, mais le cadre dans lequel évolue tout ce petit monde est, au moins en partie, construit de manière bilatérale. Certains cours, quant à eux, voient le rapport enseignant-élèves interverti : les vieux auraient des choses à apprendre des jeunes. Serait-ce donc en exhortant, dès le plus jeune âge, les individus à s’impliquer dans ce lieu de socialisation par excellence qu’est l’école, que ceux-ci réaliseraient toute l’importance de leur responsabilité citoyenne, une fois adultes ? Peut-être tient-on là quelque chose…
Simon Delwart